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Phraséologie.
20 décembre 2008

Boucle.

Une nouvelle. Structure travaillée au préalable. Formulations revues. Pas de grosses refontes.

Les deux sons retentirent après qu'il eût sonné, suivis d'une agitation, et des pas vifs s'intensifiant à mesure qu'ils s'approchaient de la porte. Ils se firent muets, la porte s'ouvrit. Madame Olie, la poignée en main, se réjouit de sa venue, après l'avoir regardé quelques instants, imperceptibles, comme on considère une poutre, ou un quelconque autre objet inanimé.
Elle lui indiqua, sans l'accompagner, de sa main aux ongles exagérés, un tabouret métallique dans le salon. Il s'y dirigea tandis que, même une fois la porte fermée, Madame restait piquée.
L'atmosphère de cet appartement était toujours aussi oppressante, remarqua-t-il, qu'à sa première visite. Le plafond bas et gris, des petites fenêtres rectangulaires, toutes étroites, collées à lui au plus haut du mur, et des lustres de faux cristal éteints, pendus au plafond comme des cadavres de verre, que l'on devait éviter pour ne pas s'y cogner le front. Il contourna la table triangulaire de chêne massif qui encombrait de manière prodigieuse le salon, et s'assit sur l'inconfortable tabouret.
La disposition de cet appartement écœurait tout esprit sain, ou le corrompait, comme par érosion. Aussi vît-il Madame Olie, immobile encore, le fixer du regard depuis l'entrée. Tout salon duquel l'entrée est visible secrète un malaise diffu.
"Thé ou café?" hurla-t-elle, alors qu'ils n'étaient qu'à une dizaine de mètres l'un de l'autre. Il choisit du café, une fois que sa voix endormie depuis quelques heures voulût bien être intelligible. Elle disparut alors dans la cuisine.
C'était une harpie, cette femme aux yeux noirs comme deux puits, aux volumineux et longs cheveux blancs, alors qu'elle devait à peine avoir franchi la trentaine. Une harpie fort attrayante, mais si froide, si brusque... elle n'aura sans doute jamais d'enfant. Ces êtres ne sont pas destinés à se reproduire.
Il émergea de sa rêverie par le choc sonore, -elle l'avait posé sans délicatesse-, de la cafetière sur la table. Une cafetière vide, sans tasse.
"Je viens, il jugeait bon de feindre ne pas avoir pris conscience de cette absurdité, comme vous me l'avez fortement conseillé, pour régler les derniers détails, encore obscurs pour moi, de notre affaire...
- Notre affaire", répéta-t-elle sans trace d'intonation, comme s'il s'agissait d'une dictée.
Il acquiesça, ne sachant au juste comment réagir, et lui narra ses dernières heures.
Le thé avait bien été imbibé du liquide qu'elle lui avait vendu si cher, et il n'en gardait aucune odeur suspecte. Il avoua que, de peur, il ne l'avait pas trop senti non plus, mais que sentir le thé n'était le loisir de personne, et qu'en conséquence il estimait que c'était là une négligence bénigne. Elle demeura impassible. Bien sûr, personne ne l'avait vu, sa femme se trouvait au club d'artistes qu'elle fréquentait assidûment, et le domestique portait une commission absurde censé l'éloigner.
Un bruit sourd et persistant interrompit le récit; le réfrigérateur, à quelques pas du tabouret, baissait sa température. Mme Olie tapota trois fois l'accoudoir gauche de son fauteuil Voltaire, afin de le faire poursuivre.
Et donc, reprit-il gauchement, il n'avait pas perdu une seule seconde -il savait comme, en de pareils circonstances, le temps pouvait être précieux- et était directement allé la rejoindre.
"Et me voilà" - cette conclusion maladroite lui parut ridicule, il voulut la rattraper avec sa bouche, et la ravaler, mais il était trop tard.
Quelques secondes de silence plus tard, Mme Olie s'expliqua:
"Bien. Écoutez-moi Duke; les gens craquent, vous savez, ils craquent tout le temps, leur volonté s'écroule, quelle que soit leur espèce, et ils fléchissent, et s'humilient. Je n'aime pas les voir s'abaisser plus bas que terre, creuser eux-même dans leur amour-propre. Alors, je mets à votre disposition une voiture avec chauffeur. Vous lui donnerez des adresses, il vous y conduira, jusqu'à l'heure du thé, à laquelle vous pourrez descendre, et il sera trop tard."
Celle solution ne lui plut pas, il ne désirait pas que l'on juge de sa volonté avec tant de légèreté, et qu'on la juge si mal, de surcroît. Il refusa net, et esquissa le mouvement de se lever.
"Il est trop tard. Fléchissez, et vous serez d'un ridicule inouï, d'un ridicule que l'on mouche sur scène. Cette voiture est une pure formalité. Si votre volonté est inébranlable, elle sera accomplie. Je vous permets de pactiser avec le temps, d'être constant, de ne plus pouvoir reculer. C'est une stratégie de terre brûlée -vous savez comme j'aime les histoires des soldats russes et japonais durant la seconde guerre mondiale-; brûlez l'hésitation. Rendez-vous au parking, elle vous attend."
Elle disait vrai, il accepta, et comprît que cette ultime information l'invitait à se retirer. Elle ne se leva pas, prit la cafetière entre ses deux mains, et aspira longuement le bec. Quand il referma la porte derrière lui, elle répétait l'opération.
Dans le parking, au sous-sol, une voiture de ministre, noire, les vitres teintées, laissait tourner son moteur. Luxe morbide, s'il en fut.
Assis derrière, il appuya sur un bouton rouge, placé sous la plaque noir qui le séparait du conducteur, et sur lequel un dessin de haut-parleur laissait entendre qu'il servait à la communication.
"Le Trocadéro, s'il vous plaît.", et la voiture se mit en branle.

Si simple, c'était donc si simple! Il se sentait déjà serein, apaisé. Quelle différence il y avait, comparé à ses derniers accès de jalousie durant lesquels il écumait sa rage comme une bête fauve! La terrible hydre de la jalousie se nourrissait de lui, au prix des pires souffrances, et le reconstituait à égale vitesse, le laissant bien portant!
Enfermé dans son cabinet de travail, il se rendait malade de nicotine, à fumer sans doute pour se suicider sans se hâter. Le sommeil, alors, ne venait pas, les affaires étaient impossibles à effectuer, la musique lui donnait des hauts le cœur.
Au début, ce n'était pour rien. Sa femme semblait plus agréable, plus docile, plus aimante. ll attribua ce renouveau à sa nouvelle garde-robe qu'il s'offrit, car elle lui reprochait de se négliger, et qui le rendait plus jeune. A l'italienne, disait-il, avec en tête l'image d'un quinquagénaire photogénique, la peau tannée par le soleil de Sicile, l'air connaisseur, une barbe de quelques jours, poivrée, au menton, et un bouquets de filles vénales -mais superbes- au bras.
Ces habits le rendaient, en réalité, mieux habillé.
Et puis il s'était méfié. Elle se rendait de plus en plus souvent, maquillée et parfumée, à un club artistique. Il craignit d'abord qu'elle posa nue, car les artistes sont charnels et débauchés. Mais sa pudeur bourgeoise promulguait des lois qui l'empêchaient, même sous la licence du sacro-saint Art, d'offrir son corps au pinceau, ou à l'objectif.
Puis il décela ses sourires condescendants, teintés de pitié, lorsqu'elle le regardait parler. Elle mâchait sa nourriture, radieuse, souriait, et parfois ses yeux devenaient vague, elle ne voyait plus que ce à quoi elle pensait, et de toute évidence pas à lui.
Elle le trompait, la révélation lui vint en pleine nuit. Elle le trompait depuis plus d'un an, et il lui donnait raison puisqu'il ne soupçonnait, ou pas assez du moins, depuis si longtemps. La honte lui plongea la tête sous terre, il était humilié, offensé, et alors commencèrent les sessions de torture, dans son cabinet, durant lesquelles il soulevait chaque galet de souvenir, dans l'espoir d'y trouver de quoi cimenter son réquisitoire. Tout s'éclaira, il comprit tout à la lumière de cette charge, désormais indéniable.

Tuer son amant. Le trouver et le tuer. Voilà sa première idée, à chaud. L'allonger, l'attacher, et lui planter un pieu au fond de la bouche, de sorte qu'il soit cloué au sol, qu'il n'ait le choix qu'entre une lente agonie, ou un mort terriblement douloureuse. Il se réservait le droit de faire pire s'il trouvait, d'ici-là.
La tuer elle. Cette idée, plus massive, plus dense, s'achemina plus doucement jusqu'à sa conscience.
La tuer, sans la faire souffrir, lui ôter la vie, comme on coupe une tige dont la fleur se fane. D'ailleurs, n'était-ce pas elle la principale, la seule!, fautive? L'amant ne le connaissait pas, lui, ce n'était pas contre lui. Bien sûr, il devait parfois rire du Cocu -quelle terrassante idée-, mais il devait s'en amuser comme au théâtre, il l'imaginait en archétype, en concept, seulement en concept. Une femme l'attendait peut-être chez lui, cet Amant, étonnée de la durée de ses sorties, et de l'énergie qu'elles lui coûtaient. Que chaque berger s'occupe de ses brebis folles, et les pâturages fleuriront, conclut-il, car la Bible justifie toute pensée qui sait la côtoyer.

Franklin D. Roosevelt, tout de bronze vêtu, était écrasé par la perspective Trocadéro, Champs-de-Mars, Tour Eiffel. On employait donc tout les moyens pour le diminuer, cet homme déjà assis.
La voiture s'arrêta, Duke lut à sa montre qui pointait seize heure quarante-huit. S'étant habitué aux accélérations et décélérations, il pria le chauffeur de se rendre sur les Champs-Elysées, et reprit le fil.

Sa femme, elle, connaissait les deux, lui comprit! C'était un choix! Elle le trompait, prétextant un club d'artistes auquel elle n'était pas inscrite -il n'existait même pas-. Et tandis qu'il travaillait, qu'il tenait le ménage, elle s'ébattait avec un sombre inconnu -inconnu de lui, du moins-? Une femme comme ça ne mérite que la mort, comme le décrètent les lois de l'Orient en ce qui concerne l'adultère. Mais il n'était pas barbare, il ne voulait pas lapider sa femme, ni même la faire souffrir, il souhaitait simplement qu'elle cessât d'exister.
Une pluie fine martelait doucement la voiture, mais les rues étaient pleines. Sentiment de malaise.

Qui pouvait imaginer ces heures de douleur, où la jalousie lui becquetait le foie! Et... et après tout, lui ne connaissait cela que de loin, auparavant. Il avait lu, jeune, parfois, des livres qui décrivaient fort bien la vie, la jalousie, même! Mais jamais il n'avait souffert, ni vécu, si fort que dans son cabinet. Avant, il me morfondait en une épaisse neurasthénie; les sentiments qu'il éprouvait lui parvenaient comme des sons étouffés.
Son mariage devait être heureux, puisqu'il ne pouvait pas le qualifier de malheureux: il tenait à rester exact. Ou plutôt: son mariage avait été. Voilà.
Mais il vivait, désormais!
Sa femme prendrait son thé, à dix-sept heures trente, elle songerait avec douceur aux étreintes torrides, et avec moquerie à son mari bien naïf, elle approcherait la tasse de ses lèvres, la boirait d'un traite, à son habitude, sentirait le petit goût acide, se retournerait, colérique, pour demander au domestique s'il a laissé le thé à porté du chat, qui aurait pu se méprendre, mais s'effondrerait tout de suite sur le faux tapis persan, acheté à Londres. Aurait-elle le temps de sentir le goût acide, de se retourner, ou serait-ce immédiat, en un éclair?
Madame Olie n'avait pas précisé, sûrement que ça n'avait pas grande importance. En tout cas, rien ne serait visible à l'autopsie. Elle aura bu son thé, et aura été foudroyé par une divinité, sans doute.

Et lui vivait. Il faisait tout ça pour elle, au cause d'elle, en fait. La haïr donne plus de saveur à la vie que de passer les jours, poussé uniquement par une curiosité badine, un sens de l'aventure émoussé.
Regret.
"Rue du Bac, vite."
La voiture tourne brusquement à droite, sans doute que le ton était persuasif. Dix-sept heure dix-sept, il est encore temps. Ah! Quel malheur que de ne comprendre le prix des choses qu'une fois qu'on les sait perdues! Cette maxime sonnait encore à ses oreilles, tant de bouches la sculptérent! Ces ouvrages collectifs s'appellent lieux communs, mais il faut arpenter chaque degré de ces lieux-là pour les saisir pleinement.
Encore temps, des feux rouges, une circulation qui se densifie, mais encore temps. Le supplice est insoutenable, un froid le prend aux extrémités, il craint que ça ne soit un présage funeste.
Les rues défilent, la terreur croît.
Rue du Bac, il est dix-sept heure vingt-deux, elle est sauvée, il s'évanouit à moitié de joie, se ressaisit, et tente d'ouvrir la portière verrouillée, qui ne cède pas. Il appuie sur le bouton, aboie que l'on ouvre. Pas de réponse. Il réitère, et ajoute: "C'est une question de vie ou de mort!" Un "Vous pensez?" narquois accuse le coup.
Il faut garder son sang froid, attendre.
Dix-sept heure trente, la portière se déverrouille, il bondit dans la cage d'escalier, monte les marches quatre à quatre, parvient à insérer la clé dans la serrure au bout d'une dizaine de secondes durant lesquelles elles s'écrasent tout autour.
Le domestique rapportait le plateau en faux-argent délesté de sa tasse. Duke s'élance dans le salon, le cœur en suspens, ne sachant encore s'il faut s'effondrer ou bénir le ciel. Il voit sa femme, débout, face à la baie vitrée, le thé à la main.
"Nésie, lâche cette tasse!"
Elle se retourne, calme, lui en demande la raison, et lui se répète -la panique le prive de vocabulaire-.
"Duke, tu es essoufflé, tu es écarlate, tu es paniqué, cette tasse n'a encore tué personne, tu sais? Pourquoi devrais-je m'en défaire?
- N'a encore, parfait! Exactement! Elle n'a encore tué personne, mais je t'en conjure, elle est mortelle.
- Mortelle? Qu'y as-tu mis?
- Du poison, Nésie! Pardonne-moi, ma jalousie, ton infidélité, j'ai voulu ta mort, oh!..."
Et il tomba à genoux, les mains tendus vers elle.
Angélique, elle s'approcha, lui pris une main. Et la noblesse de cette scène offrait un tableau digne d'une tragédie grecque.
"Quelle faiblesse, toi! Ta volonté t'effraie, vois, je te l'offre. L'outrage répond à l'outrage. A mon désir de vivre tu voulus opposer ton désir de mort. Tu échoues: les rôles s'inversent. A ton désir de vie j'oppose le mien, mortel, que je revêts bien mieux que toi. Merde."
Elle bu, ne se retourna pas car il n'y avait pas lieu de s'adresser au domestique, qui finissait son service à trente, et s'écroula.
Duke, qui sentit son visage se décomposer au fur et à mesure qu'il comprenait sa femme, poussa un cri terrible d'animal blessé, un cri hystérique, qui cesse lorsque les poumons, vides d'air, ajoutent à l'incapacité de la résurrection celle de s'exprimer, pour reprendre par la suite, et s'interrompre à nouveau, jusqu'à l'épuisement, ou la lassitude. Il décida qu'il lui fallait mourir lui aussi, retourna sa femme qui était tombée face contre terre, se rompant net le nez, et l'embrassa à pleine bouche, entre des gémissements plaintifs, dans l'espoir de récolter des restes de poison.
Véritable fanatique, il enfonçait sa langue aussi profond que possible, léchant les dents, gencives et joues. De violents vomissements le prirent, qui l'empêchèrent de faire le moindre pas, si ce n'est pour atteindre son lit.

Le domestique appela la police le lendemain, Duke déclara qu'il l'avait découverte morte, et avait eu une violente crise de nerf. Ses considérables vomissements, dont les fruits recouvraient le tapis d'une couche d'immondices, ses cernes exagérées, et son sommeil lourd confortèrent l'inspecteur. A la vue de ce choc nerveux, les médecins conseillèrent que l'on réglât l'enterrement en son absence.
Il garda le lit trois jours, et fût complaisant avec le domestique qui, de manière déplacée, souriait d'un air fin dés qu'il entrait dans la chambre. Sans doute l'état de son maître lorsque celui-ci avait franchi le seuil pouvait passer pour de la rage. Aussi omit-il de le préciser lors de sa déposition, Duke l'augmenta substantiellement. Pourtant, aucun mot ne fût échangé à ce propos.

Une fois sa convalescence achevée, Duke prit le chemin du cimetière, où sa femme était enterrée.
La tombe était discrète, fleurie d'un bouquet de roses rouges que Duke attribua à son rival. Il est intéressant de voir à quel point tant de complications peuvent être concentrées en si peu de symboles.
La peine, d'abord vive, devînt une vague incompréhension, qu'il ne chercha pas à tirer des limbes de son esprit.
Décidément, se suicider de la sorte exprimait sa sottise, et cet axiome, sorti de quelque coin indifférent et fade de son esprit pansa les plaies qui cicatrisaient déjà. Un platane fier de vitalité ombrageait la dalle mortuaire, et ses yeux s'en distrayaient. Il aperçu, de la sorte, par delà les murs du cimetière, un restaurant italien dont il avait ouïe dire le plus grand bien. La faim le tenait au ventre, même si elle restait des plus supportables, mais après, il faudrait prendre la voiture, et rentrer, et la route était longue, du moins désagréable. Autant déjeuner tout de suite; il s'y dirigea.

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