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Phraséologie.

28 mars 2009

Halb.




S'étale sur des lieues un gigantesque banquet dont l'immense table de verre se trouve enfouie sous les hôtes: les gigots y saignent en abondance, les volailles dorées craquent dans les couverts, baignant dans un vin délicat comme du cachemire.
La nuit n'est pas assez vorace pour absorber le tumulte de cette orgie, où rompant le flot continu des exhortations à jouir, des querelles s'élèvent, pour glisser en rires avinés.
Une vapeur dense couve cette masse criarde, elle provient des haleines et des viandes chaudes encore, dans lesquels mordent à pleines dents ces hommes enivrés. Les plus raffinés pendent à leurs lobes des bijoux de topaze, et se coiffent de serre-tête en sycomore, tandis qu'entre eux se faufilent les éphèbes noueux et lascifs, fils de la plèbe.
Ondulent çà et là, comme des flammes avides d'espace, des danseuses à peau cuivrée s'accordant aux rythmes déstructurés qu'engendrent les sandales frappées à terre de leurs admirateurs, et l'on en voit qui, à la faveur de l'ivresse générale, lapent quelques gorgés de liqueurs amères dans des verres de porcelaine.
A intervalle régulier, des bustes de porphyre luisent au clair de lune, à peine ombragés par les branches des citronniers flétris.
La terre brûlée se soulève à chaque pas en nuage de poussière. Les diablesses dansantes en sont recouvertes et se versent des carafes d'eau pour s'en purifier un instant, mais la peau humide retient avec plus de désir, encore, la poussière à elle.
Devant des plats emplis de mets faciles et lourds, un homme vêtu d'une chasuble de prosélyte veinulée de fils d'or trempe ses doigts dans une marmite d'huile, et en graisse sa chevelure.
Les femmes, silencieuses, ploient autour de lui comme une marée montante. Le murmure enfle à cette partie de la tablée, un inconnu s'enquiert de son identité. Halb rayonna:
"J'ai ouvert ma couche afin que puisse se blottir, à la moiteur de nos concupiscences, ma mère, mes sœurs, mes filles. Toutes enfantèrent: nos progénitures incestueuses vivent au loin, dans un immense enclot de fer confectionné par mes soins, où elles prolifèrent et mélangent à l'infini ce sang faible et perverti. Ces êtres gémissent chaque matin, parfois, je les entends, et un sourire fend mon visage.
Pourtant la cruauté n'est pas mon cap, mes jours se comptent en errance. Ni logique, ni passions ne gonflent mes voiles, je dédaigne jusqu'aux flux de mes envies; ma vie se confond en un navire démâté.
Ainsi cette société consanguine, au dessus de laquelle rayonne ma sainte aura créatrice, vît le jour pour le Qu'importe que j'idolâtre, étendu sur un autel tel un Dieu suicidé disposé à anéantir dans son désarroi toute tranche de matière, puis à gober le néant.
Convives inconnus! Que ma puissance résonne dans vos crânes: j'ai des chevaux de quoi tracter mes palais, des esclaves de quoi enfouir les mers, et de l'or fondu à n'y plus accorder que la piètre valeur du miel.
Mes royaumes s'étendent au delà d'eux-mêmes, là réside leur force. Si loin même que cette table n'en connaît pas le bout, elle qui fût pourtant fondue d'appétit pur.
Buvez et mangez ces viandes savantes, ces femmes et ces fortunes, elles se collent à vous, à vos peaux."
Un étudiant filiforme s'exclama le connaître, puis:
"- Il parait que vous voyez?
- Mes visions m'offrirent des tableaux de Pégase soûl de tourments, ses ailes dans sa mâchoire, tentant au prix des plus vives douleurs de renoncer à sa splendeur. Faibles comme lui, combien de vieillards endeuillés d'une vie stérile, combien d'enfants stupéfaits du bagne auquel les a condamné, dans leur insouciante euphorie, leurs géniteurs, et combien d'hommes mûrs, affligés de se voir pourrir aux branches de l'existence, combien de ceux-là, disais-je, ai-je déjà déplorés? Leurs yeux eussent été des perles, leurs mains de l'ivoire, qu'ils souhaiteraient à coup sûr qu'on en érige des temples. Mais ils le savent tous: le corps dans son intégralité, un jour, sera outragé. Seront abolis la respiration et la circulation, le cœur arrêté en diastole, la cavité thoracique en expiration, et les muscles se relâcheront, sphincter compris, lui, l'ignominieux gardien de nos fiertés. Nous laisserons alors un goût amer, quelle que fut notre identité en ce seul monde; le frais mélange de di-éthylamine et tri-méthaline, liquides putriques, aussi ingrats à prononcer que nauséabonds aux sens."
On grouillait autour de lui, constituant une muraille circulaire de faces rougis par les plaisirs, tous délétères. Un silence accueillait ses piquantes paroles, une voix s'éleva:
"Maître, vos innombrables richesses proviennent-elles de la guerre? Ou vos mains portent-elles les souillures des cabales? Dites-nous, le souffre de l'offense a-t-il gercé vos lèvres?
-Les guerres se livrent en moi en tribus rampantes, et successivement stratège de l'une, puis de l'autre, je parviens à les articuler, comme un joueur d'échec esseulé. Les complots fomentés dans lesquels je baigne ne visent qu'à saboter le piédestal sur lequel je me repose depuis trop longtemps. Enfin, le souffre de l'offense abandonna derrière lui des landes désolées, mais seules celles de mon âme le connurent, et jamais il ne pût s'affranchir de mes entrailles. Apprenez mes visions: Pégase chatoyant mord ses ailes avec hargne, Phoebus s'en attriste comme d'un deuil, car c'est bien une mort que de dévorer ses superbes.
Il me fallût, cependant, m'éprouver.
Ascète je rampais le long d'une allée bordée de fruits frais et juteux suspendus aux branches d'arbres vigoureux, sur lesquels la vigne grimpait avec tranquillité. Pourtant, jamais le fossé n'eut à supporter mon poids; je désirais cette ligne chimérique que forment l'union de la terre et du ciel, au loin.
Mon entreprise fut un succès: je ne décrirais que mal cet instant sublime où mes doigts effleurèrent cette droite idéale.
Revenu de ces tentations factices, mes cheveux se mêlaient de myrtes et de lauriers."
Un mouvement de foule l'interrompit. Une femme, les yeux exorbités, le visage révulsé par une angoisse bestiale s'agrippa à sa manche:
"Et ce banquet?"
Le tumulte s'apaisa, la citronnelle alourdissait l'air, et les bustes de porphyre, mutilés dans la fureur de la fête, gisaient péniblement à terre.
Çà et là, les femmes languissantes s'écroulaient sur la table, les hommes dégageaient leur museau de mets sanglants qu'ils rongeaient comme des charognes, et s'attroupaient autour de ces nouvelles proies, si sensuelles.
Halb donna sa réponse:
"Ce banquet creuse un fossé, mais l'horizon lointain existe aussi peu que ces fruits frais et juteux dont vous rêvez, car en vérité les parasites en habitent toutes les cavités."
Les mains lâchèrent sa manche, l'on s'écarta, stupéfaits.
Le vent, mugissant dans le bois alentour, se leva des quatre points cardinaux, des mâts, discrets jusqu'alors, craquèrent et s'abattirent, rompant sans distinction verrerie, boiserie, et corps, ces derniers hurlant et cachés puérilement sous la table rectiligne à perte de vue. Halb se tenait immobile, la panique ne dégonflait pas. Soudain les citronniers roussirent aux flammes attisées, les convives s'enflammèrent et se consumèrent rapidement, bientôt tout ne fût plus qu'un plateau de cendre, tanguant tout à coup.
Paisible, Halb vît décroître l'espace, pour n'être plus qu'un navire à la dérive, charrié par quatre courants annulant chacun la poussée de l'autre. Les yeux baissés, il invoqua à voix basse son Dieu suicidé sur le catafalque.

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23 janvier 2009

Grain.

Le pavé, tabassé par une pluie persistante, comme hargneuse, tapissait la ville d'entre toutes tordue: Tolède. Cité figée dans sa puissante ondulation, pétrifiée dans la force de ses remous, aux sommets desquels d'immondes immeubles psalmodient de funèbres promesses. Les rues étroites ont la raideur des marches d'un cachot: elles ne tolèrent que de fugitifs pas qui, s'ils persistent, asphyxient l'âme. Reconnaître sa qualité de parasite avec humilité, égrainer son chapelet en silence, afin de s'excuser de fouler ce monstre immobile que la pluie tapote, en cadence, de ses doigts translucides et voraces. Un cercle de soufre, nouveau gouffre de Thesprôtie, chassa au moyen d'un vulgaire balais de bois! pourtant apanage des commères de bas étages, une Sérénité dont l'opulente chevelure grise sacrait le front. A-t-on jamais vu une Sérénité à la cambrure douce comme un arc de soie, être poursuivie avec tant d'indécence, de sauvagerie furieuse!, par une abomination à balais, dont seuls le visage boursouflé de boisson délétère, et les bras si flasques et si imposants qu'ils débordent en dehors des manches de toile de jute, comme la ventripotente mousse d'une chope de bière, restent gravés dans la mémoire pourtant passablement ennuyée de l'observateur providentiel. Cependant, j'ai vu cette scène, d'un comique fade et exsangue, qui brise, sonore, sans que jamais plus le rideau de teintes bordeaux ne se baisse, et dont les éclairs forment stigmates au front qui rappellent celles des bagnards d'antan! J'ai vu, et une murmure lâche s'est initié entre mes lèvres, semblable à un serpent entre mes dents serrées comme ces vastes banquises écrasées par un ciel crépusculaire: "Eli, Eli, lema sabasqthani." Un rire cruel effraya le serpent pourtant déjà dressé sur lui-même: la voix étaya sa couardise. La voix dit: "Vos insolentes suppliques, votre Dieu n'en a que faire. Sa Majesté, las de vous donner en spectacle à ses innombrables légions célestes, a obstrué ses divines oreilles grâce aux martyrs d'ici-bas. Leur esprit et leur chair, malléables sur la terre comme au ciel, sont l'unique remède à l'épais écoeurement que provoquent vos farces impies. Sa Seigneurie garde les yeux clos, comme un Perdu au casino d'un coin reculé de la Terre qui, face à la roulette hasardeuse, mordu par la crainte de voir sa richesse s'évaporer, a les yeux fermés par l'angoisse, et l'esprit tendu vers les sauts de la bille insouciante, comme l'est une infante au crâne ceindé de couronnes de fleurs, de topaze, et de marbre! Ainsi votre Dieu a honte de vous devant ses sanctifiées légions, et déjà l'on médit sur lui, là-haut, c'est un mauvais hôte, dit-on. Et toi, couleuvre infâme qui te tord de douleur sur ces lèvres appauvries, retourne dans ta cave humide! Insecte parmi les animaux, chien parmi les hommes!" Et la couleuvre rampa le long du gosier, du gosier pur, pur à force d'aridité.
20 décembre 2008

Boucle.

Une nouvelle. Structure travaillée au préalable. Formulations revues. Pas de grosses refontes.

Les deux sons retentirent après qu'il eût sonné, suivis d'une agitation, et des pas vifs s'intensifiant à mesure qu'ils s'approchaient de la porte. Ils se firent muets, la porte s'ouvrit. Madame Olie, la poignée en main, se réjouit de sa venue, après l'avoir regardé quelques instants, imperceptibles, comme on considère une poutre, ou un quelconque autre objet inanimé.
Elle lui indiqua, sans l'accompagner, de sa main aux ongles exagérés, un tabouret métallique dans le salon. Il s'y dirigea tandis que, même une fois la porte fermée, Madame restait piquée.
L'atmosphère de cet appartement était toujours aussi oppressante, remarqua-t-il, qu'à sa première visite. Le plafond bas et gris, des petites fenêtres rectangulaires, toutes étroites, collées à lui au plus haut du mur, et des lustres de faux cristal éteints, pendus au plafond comme des cadavres de verre, que l'on devait éviter pour ne pas s'y cogner le front. Il contourna la table triangulaire de chêne massif qui encombrait de manière prodigieuse le salon, et s'assit sur l'inconfortable tabouret.
La disposition de cet appartement écœurait tout esprit sain, ou le corrompait, comme par érosion. Aussi vît-il Madame Olie, immobile encore, le fixer du regard depuis l'entrée. Tout salon duquel l'entrée est visible secrète un malaise diffu.
"Thé ou café?" hurla-t-elle, alors qu'ils n'étaient qu'à une dizaine de mètres l'un de l'autre. Il choisit du café, une fois que sa voix endormie depuis quelques heures voulût bien être intelligible. Elle disparut alors dans la cuisine.
C'était une harpie, cette femme aux yeux noirs comme deux puits, aux volumineux et longs cheveux blancs, alors qu'elle devait à peine avoir franchi la trentaine. Une harpie fort attrayante, mais si froide, si brusque... elle n'aura sans doute jamais d'enfant. Ces êtres ne sont pas destinés à se reproduire.
Il émergea de sa rêverie par le choc sonore, -elle l'avait posé sans délicatesse-, de la cafetière sur la table. Une cafetière vide, sans tasse.
"Je viens, il jugeait bon de feindre ne pas avoir pris conscience de cette absurdité, comme vous me l'avez fortement conseillé, pour régler les derniers détails, encore obscurs pour moi, de notre affaire...
- Notre affaire", répéta-t-elle sans trace d'intonation, comme s'il s'agissait d'une dictée.
Il acquiesça, ne sachant au juste comment réagir, et lui narra ses dernières heures.
Le thé avait bien été imbibé du liquide qu'elle lui avait vendu si cher, et il n'en gardait aucune odeur suspecte. Il avoua que, de peur, il ne l'avait pas trop senti non plus, mais que sentir le thé n'était le loisir de personne, et qu'en conséquence il estimait que c'était là une négligence bénigne. Elle demeura impassible. Bien sûr, personne ne l'avait vu, sa femme se trouvait au club d'artistes qu'elle fréquentait assidûment, et le domestique portait une commission absurde censé l'éloigner.
Un bruit sourd et persistant interrompit le récit; le réfrigérateur, à quelques pas du tabouret, baissait sa température. Mme Olie tapota trois fois l'accoudoir gauche de son fauteuil Voltaire, afin de le faire poursuivre.
Et donc, reprit-il gauchement, il n'avait pas perdu une seule seconde -il savait comme, en de pareils circonstances, le temps pouvait être précieux- et était directement allé la rejoindre.
"Et me voilà" - cette conclusion maladroite lui parut ridicule, il voulut la rattraper avec sa bouche, et la ravaler, mais il était trop tard.
Quelques secondes de silence plus tard, Mme Olie s'expliqua:
"Bien. Écoutez-moi Duke; les gens craquent, vous savez, ils craquent tout le temps, leur volonté s'écroule, quelle que soit leur espèce, et ils fléchissent, et s'humilient. Je n'aime pas les voir s'abaisser plus bas que terre, creuser eux-même dans leur amour-propre. Alors, je mets à votre disposition une voiture avec chauffeur. Vous lui donnerez des adresses, il vous y conduira, jusqu'à l'heure du thé, à laquelle vous pourrez descendre, et il sera trop tard."
Celle solution ne lui plut pas, il ne désirait pas que l'on juge de sa volonté avec tant de légèreté, et qu'on la juge si mal, de surcroît. Il refusa net, et esquissa le mouvement de se lever.
"Il est trop tard. Fléchissez, et vous serez d'un ridicule inouï, d'un ridicule que l'on mouche sur scène. Cette voiture est une pure formalité. Si votre volonté est inébranlable, elle sera accomplie. Je vous permets de pactiser avec le temps, d'être constant, de ne plus pouvoir reculer. C'est une stratégie de terre brûlée -vous savez comme j'aime les histoires des soldats russes et japonais durant la seconde guerre mondiale-; brûlez l'hésitation. Rendez-vous au parking, elle vous attend."
Elle disait vrai, il accepta, et comprît que cette ultime information l'invitait à se retirer. Elle ne se leva pas, prit la cafetière entre ses deux mains, et aspira longuement le bec. Quand il referma la porte derrière lui, elle répétait l'opération.
Dans le parking, au sous-sol, une voiture de ministre, noire, les vitres teintées, laissait tourner son moteur. Luxe morbide, s'il en fut.
Assis derrière, il appuya sur un bouton rouge, placé sous la plaque noir qui le séparait du conducteur, et sur lequel un dessin de haut-parleur laissait entendre qu'il servait à la communication.
"Le Trocadéro, s'il vous plaît.", et la voiture se mit en branle.

Si simple, c'était donc si simple! Il se sentait déjà serein, apaisé. Quelle différence il y avait, comparé à ses derniers accès de jalousie durant lesquels il écumait sa rage comme une bête fauve! La terrible hydre de la jalousie se nourrissait de lui, au prix des pires souffrances, et le reconstituait à égale vitesse, le laissant bien portant!
Enfermé dans son cabinet de travail, il se rendait malade de nicotine, à fumer sans doute pour se suicider sans se hâter. Le sommeil, alors, ne venait pas, les affaires étaient impossibles à effectuer, la musique lui donnait des hauts le cœur.
Au début, ce n'était pour rien. Sa femme semblait plus agréable, plus docile, plus aimante. ll attribua ce renouveau à sa nouvelle garde-robe qu'il s'offrit, car elle lui reprochait de se négliger, et qui le rendait plus jeune. A l'italienne, disait-il, avec en tête l'image d'un quinquagénaire photogénique, la peau tannée par le soleil de Sicile, l'air connaisseur, une barbe de quelques jours, poivrée, au menton, et un bouquets de filles vénales -mais superbes- au bras.
Ces habits le rendaient, en réalité, mieux habillé.
Et puis il s'était méfié. Elle se rendait de plus en plus souvent, maquillée et parfumée, à un club artistique. Il craignit d'abord qu'elle posa nue, car les artistes sont charnels et débauchés. Mais sa pudeur bourgeoise promulguait des lois qui l'empêchaient, même sous la licence du sacro-saint Art, d'offrir son corps au pinceau, ou à l'objectif.
Puis il décela ses sourires condescendants, teintés de pitié, lorsqu'elle le regardait parler. Elle mâchait sa nourriture, radieuse, souriait, et parfois ses yeux devenaient vague, elle ne voyait plus que ce à quoi elle pensait, et de toute évidence pas à lui.
Elle le trompait, la révélation lui vint en pleine nuit. Elle le trompait depuis plus d'un an, et il lui donnait raison puisqu'il ne soupçonnait, ou pas assez du moins, depuis si longtemps. La honte lui plongea la tête sous terre, il était humilié, offensé, et alors commencèrent les sessions de torture, dans son cabinet, durant lesquelles il soulevait chaque galet de souvenir, dans l'espoir d'y trouver de quoi cimenter son réquisitoire. Tout s'éclaira, il comprit tout à la lumière de cette charge, désormais indéniable.

Tuer son amant. Le trouver et le tuer. Voilà sa première idée, à chaud. L'allonger, l'attacher, et lui planter un pieu au fond de la bouche, de sorte qu'il soit cloué au sol, qu'il n'ait le choix qu'entre une lente agonie, ou un mort terriblement douloureuse. Il se réservait le droit de faire pire s'il trouvait, d'ici-là.
La tuer elle. Cette idée, plus massive, plus dense, s'achemina plus doucement jusqu'à sa conscience.
La tuer, sans la faire souffrir, lui ôter la vie, comme on coupe une tige dont la fleur se fane. D'ailleurs, n'était-ce pas elle la principale, la seule!, fautive? L'amant ne le connaissait pas, lui, ce n'était pas contre lui. Bien sûr, il devait parfois rire du Cocu -quelle terrassante idée-, mais il devait s'en amuser comme au théâtre, il l'imaginait en archétype, en concept, seulement en concept. Une femme l'attendait peut-être chez lui, cet Amant, étonnée de la durée de ses sorties, et de l'énergie qu'elles lui coûtaient. Que chaque berger s'occupe de ses brebis folles, et les pâturages fleuriront, conclut-il, car la Bible justifie toute pensée qui sait la côtoyer.

Franklin D. Roosevelt, tout de bronze vêtu, était écrasé par la perspective Trocadéro, Champs-de-Mars, Tour Eiffel. On employait donc tout les moyens pour le diminuer, cet homme déjà assis.
La voiture s'arrêta, Duke lut à sa montre qui pointait seize heure quarante-huit. S'étant habitué aux accélérations et décélérations, il pria le chauffeur de se rendre sur les Champs-Elysées, et reprit le fil.

Sa femme, elle, connaissait les deux, lui comprit! C'était un choix! Elle le trompait, prétextant un club d'artistes auquel elle n'était pas inscrite -il n'existait même pas-. Et tandis qu'il travaillait, qu'il tenait le ménage, elle s'ébattait avec un sombre inconnu -inconnu de lui, du moins-? Une femme comme ça ne mérite que la mort, comme le décrètent les lois de l'Orient en ce qui concerne l'adultère. Mais il n'était pas barbare, il ne voulait pas lapider sa femme, ni même la faire souffrir, il souhaitait simplement qu'elle cessât d'exister.
Une pluie fine martelait doucement la voiture, mais les rues étaient pleines. Sentiment de malaise.

Qui pouvait imaginer ces heures de douleur, où la jalousie lui becquetait le foie! Et... et après tout, lui ne connaissait cela que de loin, auparavant. Il avait lu, jeune, parfois, des livres qui décrivaient fort bien la vie, la jalousie, même! Mais jamais il n'avait souffert, ni vécu, si fort que dans son cabinet. Avant, il me morfondait en une épaisse neurasthénie; les sentiments qu'il éprouvait lui parvenaient comme des sons étouffés.
Son mariage devait être heureux, puisqu'il ne pouvait pas le qualifier de malheureux: il tenait à rester exact. Ou plutôt: son mariage avait été. Voilà.
Mais il vivait, désormais!
Sa femme prendrait son thé, à dix-sept heures trente, elle songerait avec douceur aux étreintes torrides, et avec moquerie à son mari bien naïf, elle approcherait la tasse de ses lèvres, la boirait d'un traite, à son habitude, sentirait le petit goût acide, se retournerait, colérique, pour demander au domestique s'il a laissé le thé à porté du chat, qui aurait pu se méprendre, mais s'effondrerait tout de suite sur le faux tapis persan, acheté à Londres. Aurait-elle le temps de sentir le goût acide, de se retourner, ou serait-ce immédiat, en un éclair?
Madame Olie n'avait pas précisé, sûrement que ça n'avait pas grande importance. En tout cas, rien ne serait visible à l'autopsie. Elle aura bu son thé, et aura été foudroyé par une divinité, sans doute.

Et lui vivait. Il faisait tout ça pour elle, au cause d'elle, en fait. La haïr donne plus de saveur à la vie que de passer les jours, poussé uniquement par une curiosité badine, un sens de l'aventure émoussé.
Regret.
"Rue du Bac, vite."
La voiture tourne brusquement à droite, sans doute que le ton était persuasif. Dix-sept heure dix-sept, il est encore temps. Ah! Quel malheur que de ne comprendre le prix des choses qu'une fois qu'on les sait perdues! Cette maxime sonnait encore à ses oreilles, tant de bouches la sculptérent! Ces ouvrages collectifs s'appellent lieux communs, mais il faut arpenter chaque degré de ces lieux-là pour les saisir pleinement.
Encore temps, des feux rouges, une circulation qui se densifie, mais encore temps. Le supplice est insoutenable, un froid le prend aux extrémités, il craint que ça ne soit un présage funeste.
Les rues défilent, la terreur croît.
Rue du Bac, il est dix-sept heure vingt-deux, elle est sauvée, il s'évanouit à moitié de joie, se ressaisit, et tente d'ouvrir la portière verrouillée, qui ne cède pas. Il appuie sur le bouton, aboie que l'on ouvre. Pas de réponse. Il réitère, et ajoute: "C'est une question de vie ou de mort!" Un "Vous pensez?" narquois accuse le coup.
Il faut garder son sang froid, attendre.
Dix-sept heure trente, la portière se déverrouille, il bondit dans la cage d'escalier, monte les marches quatre à quatre, parvient à insérer la clé dans la serrure au bout d'une dizaine de secondes durant lesquelles elles s'écrasent tout autour.
Le domestique rapportait le plateau en faux-argent délesté de sa tasse. Duke s'élance dans le salon, le cœur en suspens, ne sachant encore s'il faut s'effondrer ou bénir le ciel. Il voit sa femme, débout, face à la baie vitrée, le thé à la main.
"Nésie, lâche cette tasse!"
Elle se retourne, calme, lui en demande la raison, et lui se répète -la panique le prive de vocabulaire-.
"Duke, tu es essoufflé, tu es écarlate, tu es paniqué, cette tasse n'a encore tué personne, tu sais? Pourquoi devrais-je m'en défaire?
- N'a encore, parfait! Exactement! Elle n'a encore tué personne, mais je t'en conjure, elle est mortelle.
- Mortelle? Qu'y as-tu mis?
- Du poison, Nésie! Pardonne-moi, ma jalousie, ton infidélité, j'ai voulu ta mort, oh!..."
Et il tomba à genoux, les mains tendus vers elle.
Angélique, elle s'approcha, lui pris une main. Et la noblesse de cette scène offrait un tableau digne d'une tragédie grecque.
"Quelle faiblesse, toi! Ta volonté t'effraie, vois, je te l'offre. L'outrage répond à l'outrage. A mon désir de vivre tu voulus opposer ton désir de mort. Tu échoues: les rôles s'inversent. A ton désir de vie j'oppose le mien, mortel, que je revêts bien mieux que toi. Merde."
Elle bu, ne se retourna pas car il n'y avait pas lieu de s'adresser au domestique, qui finissait son service à trente, et s'écroula.
Duke, qui sentit son visage se décomposer au fur et à mesure qu'il comprenait sa femme, poussa un cri terrible d'animal blessé, un cri hystérique, qui cesse lorsque les poumons, vides d'air, ajoutent à l'incapacité de la résurrection celle de s'exprimer, pour reprendre par la suite, et s'interrompre à nouveau, jusqu'à l'épuisement, ou la lassitude. Il décida qu'il lui fallait mourir lui aussi, retourna sa femme qui était tombée face contre terre, se rompant net le nez, et l'embrassa à pleine bouche, entre des gémissements plaintifs, dans l'espoir de récolter des restes de poison.
Véritable fanatique, il enfonçait sa langue aussi profond que possible, léchant les dents, gencives et joues. De violents vomissements le prirent, qui l'empêchèrent de faire le moindre pas, si ce n'est pour atteindre son lit.

Le domestique appela la police le lendemain, Duke déclara qu'il l'avait découverte morte, et avait eu une violente crise de nerf. Ses considérables vomissements, dont les fruits recouvraient le tapis d'une couche d'immondices, ses cernes exagérées, et son sommeil lourd confortèrent l'inspecteur. A la vue de ce choc nerveux, les médecins conseillèrent que l'on réglât l'enterrement en son absence.
Il garda le lit trois jours, et fût complaisant avec le domestique qui, de manière déplacée, souriait d'un air fin dés qu'il entrait dans la chambre. Sans doute l'état de son maître lorsque celui-ci avait franchi le seuil pouvait passer pour de la rage. Aussi omit-il de le préciser lors de sa déposition, Duke l'augmenta substantiellement. Pourtant, aucun mot ne fût échangé à ce propos.

Une fois sa convalescence achevée, Duke prit le chemin du cimetière, où sa femme était enterrée.
La tombe était discrète, fleurie d'un bouquet de roses rouges que Duke attribua à son rival. Il est intéressant de voir à quel point tant de complications peuvent être concentrées en si peu de symboles.
La peine, d'abord vive, devînt une vague incompréhension, qu'il ne chercha pas à tirer des limbes de son esprit.
Décidément, se suicider de la sorte exprimait sa sottise, et cet axiome, sorti de quelque coin indifférent et fade de son esprit pansa les plaies qui cicatrisaient déjà. Un platane fier de vitalité ombrageait la dalle mortuaire, et ses yeux s'en distrayaient. Il aperçu, de la sorte, par delà les murs du cimetière, un restaurant italien dont il avait ouïe dire le plus grand bien. La faim le tenait au ventre, même si elle restait des plus supportables, mais après, il faudrait prendre la voiture, et rentrer, et la route était longue, du moins désagréable. Autant déjeuner tout de suite; il s'y dirigea.

1 décembre 2008

Description.

Ses cheveux las et ses yeux sombres se suspendirent un instant, puis se contractèrent pour former cette grimace cruelle de la face en pleurs.
Elle hoquetait de désespoir, affaiblie et accroupie, repliée sur elle comme lorsque la douleur saisit à la nuque, réaction observable chez l'animal lorsque la peur est paralysante, ou le contrecoup d'une fuite terrassant. Elle tâchait de cacher, de ses mains trop petites, cette larmoierie pénible, alors que son corps entier, par ses sursauts, la trahissait.
Son teint halé, uniforme et beau, que son maquillage léger lui conférait à l'habitude, au renfort d'un subtil rose sur les joues, se trouvait tachetée par les disgracieuses rougeurs que le chagrin provoque. Les pleurs enlaidissent avec hargne, comme si la Nature appelait la charité humaine à se reposer à l'ombre des oasis lacrymaux.
Aussi, parfois, de douloureux accrocs d'une bave dense s'élançaient de ses deux lèvres roses lorsqu'elles se retroussaient sur sa dentition blanche et luisante comme de la porcelaine. Mais il y avait leurre; alors ce regard qui scrutait, droit, ce visage déformé, glissait comme à reculons, guidé par les courbes soyeuses, sur une poitrine adolescente rythmée par une respiration désordonnée suffisamment découverte pour rappeler certaines voluptés.
Spectateur de cette scène d'une bafouée écrasée sous d'atroces déceptions qui se réfugie, tant ses repères sont anéantis, à la source même du mal et, pire!, qui la prend pour remède, il était toutefois incrédule de ne ressentir qu'un lourd ennui, et devait se rappeler à chaque instant qu'il vivait cette situation.
Pour pleurer ainsi, il fallait que la douleur l'emplît et fit céder, jusqu'à ses yeux, par une pression titanesque les barrages cimentés d'orgueil que la dignité dresse.

Les passants n'y trouvaient pas leur pain, puisqu'il n'y avait ni cris, ni coups, et passaient alors dans la plus hermétique indifférence. Fidèle à ces attitudes qui rendent l'air neutre et fade jusqu'à l'écoeurement, le ciel restait une toile de fond insipide, dont les étoiles nocturnes sont volées par quelques lampadaires que les mendiants s'égaient à arroser de leur urine.

1 décembre 2008

Inno13.

14 Mars - 19h33:


Pour extraire de la cacophonie ce qui me semble primordial, pour le rendre clair, et le poser ensuite en vitrine d'où je m'en servirai comme outil, il faut que je tienne ce journal. Il sera ouvert, j'écrirai, et le monde cessera, le temps sera sur un pied.
La grève des transports était fortement suivi, aujourd'hui. Cela m'échappe. Seul, je n'arrive pas à me saisir, voudrais-je piocher en moi que j'aurais l'impression de plonger mes mains dans le sable, et d'assister impuissant à sa fuite entre mes doigts, aussi serrés soient-ils. Je ne peux me saisir en entier, alors je morcelle mes analyses. Elles sont souvent contradictoires, je ne parviens pas à m'éclairer quant à mes motivations.
Alors, une unité de groupe, cela se tient hors des limites de mon imagination, et pourtant il y a grève. Peut-être qu'ils sont moins volumineux, de l'intérieur, eux, et qu'un regard suffit à les embrasser.
J'allai au travail à pieds et ce me fût agréable. Mon bureau était au bout du métro et, dans mon for intérieur, deux chemins ne pouvaient mener à la même peine. Un tohu-bohu assourdi vint à mon oreille droite, tohu-bohu festif, une joie qui s'insinuait dans mon cœur, à reculons. La source n'était pas loin. Trois rues plus loin, le soleil m'inonda et m'éblouît, tandis que devant moi un groupe d'enfants s'apprêtait à rentrer dans l'établissement. Leurs cris, leurs airs ingénus, leurs pleurs me laissent de glace, d'habitude.
Ici, non, ils vivaient et la masse qui s'étalait devant moi, d'une quarantaine de petits êtres frais, était une injection de vivacité. Aussi mon regard divagua-t-il sur les cartables à couleurs vives, les habits mornes, et les bouches imparfaitement dentées. Mais une petite fille aux yeux malicieux me contemplait, yeux aussi bleus que sa chevelure était blonde, et ses joues roses d'une santé fragile. Statique dans cette ruche, son regard ne démordait pas, le mien cédât et, perturbé, je passai mon chemin.

22h14:


Jeune, j'étais de grandes espérances. Je me destinais à être acteur, vivre sur les planches, me laver aux applaudissements du public, me rafraîchir de son rire! Combien de temps ai-je passé, courbé sur Beckett ou Sénèque, la plume à la main, prenant note et apprenant sans relâche! Ce fut ma voie jusqu'à la fin de mon adolescence, on me fît alors sortir de mon délire, on m'expliqua que je ne connaissais ni la faim, ni rien de ce qui compose, dans les mœurs, la vie d'Artiste. Il m'était impossible, alors, à leurs yeux, de pouvoir prendre la bonne solution, alors qu'eux avaient tous les éléments, et ils m'ordonnèrent de calculer mes futurs fiches de paye, le prix de logements, le prix de la nourriture, m'inculquant qu'artiste était une voie de perdition, et que l'enfer était le métier même. Je l'ai cru, je me suis laissé mourir, et je me suis réveillé aujourd'hui. Entre-temps, un coma tout particulier; la vie active, physiquement active, école de marketing, puis une entreprise d'analyse de coût. J'étais mort, en vérité, en dedans, vivre de coupures budgétaires, vivre de ce qui est extérieur à moi-même, j'appelle ça parasiter la réalité.
Un artiste court-circuite le système; il va chercher la vie à sa source.
Ce sont les doux yeux de cette petite fille qui m'ont rendu Lazare? Elle doit déborder d'espérance, elle doit bouillir, si la chaleur s'est si bien communiquée.
Demain, je passerai de nouveau devant l'école, et je demanderai son prénom à son institutrice, que je puisse accrocher une identité à ce séisme.


15 Mars -  21h56:


L'institutrice m'a demandé de quitter les lieux, effrayée, je n'ai pas eu le temps de réagir que le concierge, menaçant, se dressait devant moi.


16 Mars - 19h03:


(...) Je suis arrivé en retard de 30 minutes au travail. (...)


29 Mars - 20h12


Désuela! Je pensais qu'il fallait être adulte pour avoir un prénom original, qu'il fallait que la personnalité y adhère. Cette petite fille s'appelle Désuela, riche de son prénom! Voilà six jours que j'attendais que quelqu'un l'appelle à haute voix, et enfin! Désuela, ô Désuela! Dans dix ans, dans vingt ans je te dirai tout ce que je te dois. Si toi aussi, le monde fait chavirer ta barque, je viendrai te sauver des abîmes. Oh! On m'a volé ma vie en prétextant me la sauver, on m'a jeté de mon ambition, me susurrant que je ne pourrais désormais tomber plus bas. Quel bêtise que de se condamner à la tiédeur par peur des extrêmes.
Il faut que je me reprenne, que je fixe mes vertiges pour m'y appuyer, pour m'en faire des béquilles. Dis-moi, Désuela, comment pourrais-je te faire comprendre le danger qui nous menace, nous, vivants asphyxiés par tant d'yeux, de bouches, d'oreilles vides! Voilà, depuis que je sais ton prénom, la plume m'échappe des doigts tant je suis fébrile. Je ne sais que faire, je ne sais pas comment m'exalter d'avantage.
Je crois qu'ils m'ont perdu, en vérité, je crois que je ne peux pas me récupérer. Plus de dix ans que ma branche est coupée! Comment se pourrait-il qu'elle sache encore donner des fruits? Pour les faire de nouveau pousser, je ferai descendre mes racines aussi profond qu'il le faudra. J'ai tout droit s'il s'agit de m'accomplir. Tout homme piétine dés lors que l'on parle d'accomplissement.
Des fruits tomberont, car je suis sûr que mon génie enfermé s'est consolidé! Mais comment effacer dix ans d'amollissement?
Les Aztèques sacrifiaient par milliers, et je ne peux qu'allumer un cierge.


00h13


Impossible de dormir.



30 Mars - 07h28

Botanique & géologie: vérifier que cendre et sang soient d'excellents engrais.


3 Avril - 22h01


(...) La solitude est une condition sine qua non de l'existence. Je m'accroche à moi-même comme à un mât, sûr de voir bientôt les flots briser le navire. Je me cramponne à moi-même, prostré, avec tant de désespoir que j'en meurtri ma chair. ll aurait bien fallût que je lâche un jour, et alors je ne sais pas. Je ne peux pas être accompagné, je suis disloqué, éparpillé à l'intérieur de moi. Une compagne aurait été un marécage dans lequel je me serai enfoncé. Je n'en veux pas. Marécages dans lesquels il y a trop de caveaux que des événements qui m'échappent ont creusé par le passé.
Et ma flammèche ne s'accroît toujours pas! Eux qui m'ont appris à compter ont arraché mon calice. Les jaloux! Jaloux que je m'y abreuve!
Ses yeux, devant lesquels je passe chaque matin soulève le voile qui recouvre ce que j'aurais pu être, mais le soulève d'une force égale, d'un même mouvement, chaque jour. Que faire pour qu'enfin il s'arrache, pour qu'enfin je m'accomplisse, pour que je me boucle?



6 Avril - 04h43


Je m'y suis décidé ce matin, en la voyant encore, elle et ses yeux bleus, me regarder. Ils me regardent obstinément à longueur de journées. Le voile se découvre pareillement.
J'ai avancé, me suis mis à genoux, lui ai embrassé la joue gauche, et lui ai pris la main. L'institutrice n'était pas là, les enfants gazouillaient avec trop de force pour émerger de leur monde clôt.
Elle m'a suivi docilement, sa petite main froide enveloppé dans la mienne, son autre pouce dans la bouche. Le soleil tapait fort, et l'été faisait ses premiers pas. Ses petits chaussures rigides rendait un son irrégulier sur l'asphalte, alors que sa robe produisait un léger frou-frou dans le vent. (...)
Je la fît monter, ouvrit le salon, la fît asseoir. Alors seulement elle a demandé où nous étions. Je répondis qu'elle m'avait déjà vu, plus jeune, que j'étais un ami, et qu'il fallait que je lui explique, tout de suite, ce que je savais. Qu'il fallait que je l'avertisse concernant son avenir, qu'il fallait qu'elle m'écoute bien soigneusement.
Je lui parlais longuement, lui fît part de toutes mes découvertes, toutes, tout le chemin qu'elle m'avait permis. Mais elle s'ennuyait visiblement, baillait, près de s'endormir.
Alors, alors ça me revint, tout me revint, l'idée qui me trottait depuis bientôt deux semaines, le rachat de ma vie à n'importe quel coût. Le sang et la cendre comme engrais, et les vierges pour guérir la syphilis.
Elle était vierge des souillures matérielles d'autrui, elle baignait encore dans ses rêves, dans ses fantasmes, dans son monde qui n'est pas le nôtre, et qui ne sera bientôt plus le sien. Ah! L'idée m'est venue ici, elle restait en arrière, depuis ces semaines, elle échappait à mes analyses, elle se faufilait d'îlot en îlot, tandis que je détournais les yeux. Me laver, laver leur crime commis sur moi par l'innocence et le son cristallin de ses cris, quand elle comprendrait qu'il fallait qu'elle éponge la perversion déversée sur moi.
Faire abstraction de la chair est peu aisée, un enfant de cet âge a son esprit inscrit sur son corps, il ne connaît pas encore les jeux de physionomie.


7 Avril


La nuit a été plus pénible pour moi que pour elle, pauvre enfant. J'ai décidé d'en faire un phare, je ne l'ai pas touché, je l'ai laissé dormir, et l'ai faite sortir ce matin, qu'elle retourne chez elle. Elle était sereine, elle s'est même retournée pour me dire aurevoir, et je me penchais à la fenêtre la voir s'en aller. Son pas était assuré, elle savait retourner chez elle. Personne ne la cherche, apparemment. Je ne comprends pas.
Néanmoins, moi, j'ai compris, ce n'était pas le voile qui se soulevait, c'était la germe qui n'avait pu pousser que j'entrevoyais, une plante dont la croissance est arrêtée, un potentiel absolument paralysé. Je suis naïf de m'être cru détourné, si ma volonté n'a pas su endiguer les perturbations externes, c'est que j'étais trop faible, voilà tout.
J'ai l'impression d'être un palimpseste sur lequel les ratures se superposent, mais soit. La grève est finie.

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1 décembre 2008

Carbone.

Il était trois heure à peine, trois heures toutes crues qui gisaient dans mon assiette. Longtemps rêvées!
J'expirais avec emphase une fumée opaque que l'air peinait à dissiper. Les tempes pressées, les yeux brûlants, je sens le mur céder sous la pression.
Haletant, nouvellement niais, tout est propre. Je suis une jeune fille qui rit au milieu de rochers burinés. L'érosion me laisse une place à laquelle je me prélasse. Ma voix inaudible ne suit qu'une seule direction.
Un ciel lumineux et ouvert, éclatant, fronce mes sourcils blonds. Une tiédeur rend mes membres moites.
Un objet que je ne peux voir pénètre en mon crâne qui se livre.
Des mots! Des mots! Des mots m'échappent en colliers que je brade. Y trône mon effigie travaillée avec méticulosité.
L'extase s'immobilise et j'y monte. Elle emporte mes châteaux au vent et sans regret je les abandonne d'un sourire que je ne peux surmonter.
La fraise est rouge et j'y peux brûler mes doigts. Si elle s'éteint alors mon bonheur cesse.

Un soir nous célébrions les vêpres. J'étais un vague Elle auréolé d'une beauté diffuse mais admise. Au delà de la chapelle qui nous abritait la falaise tombait à pic et la mer s'y brisait avec furie. Alors de la mer brisée et de la lumière apparaissaient d'éphémères arc-en-ciel. L'eau du bénitier était inodore.
L'herbe brûlée craquait sous nos bottes de cuir.
Stupeur et incompréhension étaient nos lois. Nous aurions survécu si nous n'avions pas eu l'audacieuse faiblesse de les rompre.
Le son métallique de cette chapelle blanche poussée à la mer par une forêt dense d'asphyxie, la surplombant comme un phare éteint, insinuait le sinistre.
Le vent y soufflait pour mille.

Nous vîmes une silhouette criarde ondulante à la lune. Elle jetait son enfant à la mer. Les torches et les braises d'une haine qu'on ne peut peindre que sourd luisaient en ses traits. Déchainée, les serres du délire l'écorchaient. Elle jetait son enfant et au milieu d'éthers diverses hurlait à voix rompue que les dieux n'existaient pas.

1 décembre 2008

Lettre.

Ce type est une putain, en réalité.

"Mon âme, de longs mois que je n'ai pu te voir. C'était en salon, n'est-ce pas, tu étais lascive, allongée sur un divan. Je parlais peu il est vrai, mais ne me le reproche pas à moi, c'était voulu, comprends-moi. Le froid était terrible dehors, et on donnait la Sonate à Kreutzer, cette sonate, elle, est beaucoup plus éloquente que moi et, même, si je le pouvais, si j'en avais le génie et la finesse, je te l'enverrais par lettre.
Mais je n'ai que les mots, mon âme, qui bordent comme ils peuvent mes pensées d'enfant. Cette sonate, ce divan, cette ambiance jaune et feutrée, chaude, supportaient ton image jusqu'à moi. Je me demandais, alors, si la neige tombante sur les pavés, au dehors, était une célébration, un hommage. J'étais puéril, pardonne-moi, tu étais maternelle et, bien que tes yeux noirs m'aient toujours causé une peur superstitieuse, je ne me lassais pas de te soustraire ton idéal et d'y trouver, incrédule et heureux, une différence nulle. Le fantasme et le rêve, séparés l'un de l'autre par l'éveil, t'acceptaient comme compromis.
Je ne suis pas offensé qu'il ne t'en souvienne pas. Peut-être t'en souviens-tu.
Chère, ignorez les lignes suivantes si vous ne voulez connaître la culture délabrée que je persiste à soigner. Dans mon enfance -car mon âge était le vôtre lorsque vous daignâtes tomber des hauts sphères, mon ange- je lus que la volonté de dominer était maîtresse des volontés. Mais il y a-t'il domination à votre encontre? Mes bontés parviennent à vous par les voies que vous leurs permettez, et cesseront à l'instant où vous serez lassée, ma belle. Dites, dites-moi, à quelle heure ennuyée vos jambes si minces et si longues et vos épaules d'albâtre divertiront mon monde? Je vous garantis qu'il est froid, ma douce, sans vous. Et si romantique qu'on soit, qu'on puisse chanter des hymnes à la beauté ornés de soleils noirs ou des rochers venteux, on ne peut dire une fois votre personne connue que les objets d'ici bas interrompent le cours de la lumière en la réfléchissant car vous ne pouvez être la source que de toute les beautés, et l'ombre se cache de vos admirables attitudes.
J'anticipe, chère, car vous me demanderez pourquoi je vous ai quittée? Pourquoi mon silence amoureux que camouflait la Sonate était un adieu? Mais elle était riche, vous savez. La honte m'oppressait! Vous m'aimiez, et j'avais atrocement honte, moi! Mes sentiments d'homme resté naïf, d'homme que l'on raille au travail pour ses sentiments chrétiens et qui, avec humilité, quand ils rient, les regarde rire, car ils ont raison, sûrement, je suis trop idiot pour les comprendre, ces hommes là, qui se battent et battent leur femme et leurs filles et leurs fils. Je suis de ceux qui ne rendent pas les coups, pis encore, que les coups rendent plus humble. Vos sentiments à mon encontre étaient une joie, une joie rendue coup par l'écart de nos fortunes!
Elle était riche! Elle était aussi froide que le plus froid des monstres froids, plus froide que l'administration! Mais son argent me hissait à votre rang, ma petite âme, et je m'honorais d'être votre égal. Je suis parti sans vous dire adieu, je l'admets, sans rien vous dire, sans même que vous sachiez que je partais, mais je ne me suis pas "enfuie", comme vous dites cruellement. Je voulais notre idylle immaculée, dût-il y avoir des coulisses dans lesquels je devais opérer.
Et vous savez le drame, l'argent ne la pas sauvé, cette femme, elle est morte. On ne m'a pas laissé l'enterrer, ni assister aux obsèques, ses proches me méprisaient, ils me disaient intéressé. Alors j'ai pris le premier train qui pouvait me ramener à vous. Sa fortune restera à eux, car son testament est vierge de mon nom. Vous êtes un ange, et elle une garce, ma belle. Je n'ai pas le sou, plus miséreux qu'avant encore. Croyez-moi, seul ce qui ne peut se dire avec perfection a pu me pousser au sacrifice de ne pas vous voir pendant de si longues années.
Mon silence, vos lettres restées sans réponse, c'était une bêtise, mais je ne pouvais vous écrire si je ne voulais pas fléchir, croyez-moi.
Cette après-midi, après l'heure dite, on sonnera à vos appartements, et ce sera

VOTRE FIDÈLE DÉVOUÉ."

1 décembre 2008

Hermétique.

L'existence est une bâtisse jaunâtre, cernée d'un bois si lugubre que les pins y semblent des tombeaux pointés vers l'azur, si obscur que la chair s'y heurte, qui trempe ses fondements en un fleuve qui laisse à ses rives des limons, comme l'écume de lèvres criardes.
A mes pieds se trouvait la terre seule, et j'en ai brisé les carreaux, et des carreaux brisés s'envolent d'aériennes notes de joie, festives et bariolées.
Le temps maquillé, cils noircis, peau blanchie, lèvres rougies, se laisse prendre par la taille avec complaisance.
Le vent qui s'engouffre dans les bois frictionne les feuilles que je mire tomber, qu'elles gisent toutes à terre et je jure qu'à l'instant se dénoue cette comédie.
A l'intérieur, les sabots de ces chevaux frénétiques, gens écervelés, éclatent le parquet avec fureur, leurs hennissements me blessent tel un affront.
Du fleuve peu viennent à la rive, je m'y trouve seul depuis que j'y suis, ici l'heure semble immobile, vile elle m'observe, sans elle je ne peux me mouvoir.
Plusieurs fois déjà j'ai voulu lacérer les murs de mes ongles, je me balance de la rive et peux toucher l'édifice, mais que je n'aie pas d'ongles, ou qu'ils soient sucrés, il n'y a aucune prise.
La bâtisse est close, les portes sont à l'étage.
Pourtant! je vois la brise, l'alizé, la tempête, l'ouragan y bondir, alors l'agitation devient infernale! Oh! Cent sabots d'airains frappent murs et sols!

De lourds escaliers desservent les portes, encombrés de mille êtres qui, avec panique, s'y poussent. Qu'ils s'y poussent! je tiens la foule en horreur, et laisse ma place, ainsi, laissez-moi secouer mes grelots, que ces occupants qui vivent mille fois ma vie détournent les yeux de la chaleur sulfureuse et gratuite à laquelle le ciel les a conviés!
Les voilà les assassins de l'ennui, il s'est rendu à eux, et de ses armes ils ont orné leurs portiques!

29 juin 2008

Daphnis dit je ne veux pas vivre car je ne veux pas crever laissez-moi.

Les rues sont en pentes grisâtres. Un vent alarmant souffle à contre-sens, perturbant. Les trottoirs et les caniveaux sordides sont sinueux, torturés; les pavés déchaussés gisent sur la route, laissant un ruissellement ininterrompu combler les vides. Un mouvement de foule se fait sentir, je suis physiquement incroyablement entouré. Il est livide, ses cernes sont soulignées par du charbon et de la moisissure. Un timide geste m'indique le chemin à suivre.
Le plafond est bas, les meubles se cognent à moi, sa chambre est plus spacieuse qu'à l'habitude. Les meubles sont arrangés avec un ordre effroyable. Tout est propre désinfecté. Une télévision cathodique minuscule est effacée sur un meuble pré-conçu de bois clair. Nous ne parlons pas. L'air est trop lourd. L'oppression nous pèse le thorax.
Chez moi, je suis seul, je dois me rendre à l'établissement. Entré dans une salle on attend plus que moi. Je ne les ai jamais vus, et c'est à peine si je les vois. Un orateur de fonction, précédemment taciturne et honteux, prend la barre et la parole. Ses mots s'alignent comme des perles et son expression est enthousiaste, tout cela crée un malaise ambiant. Je ne comprends pas ce qu'il dit, il s'écrase enfin sous son bureau, crie un peu, mais se calme bientôt. Sauf lui, c'est un silence de mort. Sorti, dès le seuil, plus personne n'est là, le ciel bas et gris inspire alizés et humidité. Le gris a vaincu. J'ai des signaux absurdes. Une panique puérile.
Rentré des débarras agonisent à terre. La pente est désagréable, chaque pas demande un effort usant sur la longueur. Je dois bientôt y retourner. Juste le temps de subir le poids d'une trahison et je monterai sur le Crâne.
Mais ça s'affole, l'heure vient trop vite et un rire me secoue comme une branche malingre en pleine bourrasque pendant de longues minutes trop entendues.
Tout est sale, le charbon que j'ai laissé s'appliquer sur mes paumes corrompt la craie de mes murs.
Le sable grêlé sous mes pas s'incline, et l'inversion pesante s'effectue lentement, sans hâte aucune. Impuissant, je contemple des conceptions qui m'échappent.


NB: Pré-conçu = préconçu. Je sais.

3 mai 2008

Exactement.

Un manuscrit au feu qui ne brûle pas. Incrédule, je fais face et avec finesse y jette mon hochet. Des linceuls enveloppent les calices remplis; boire y est infiniment permis.
Le foyer de la cheminée en marbre d'un blanc froissant flamboie et cuit l'appartement entier, puisque les murs se meurtrissent, les fils fondent, le papier-peint crépite.
Silence.
Les quatre vents déchaînés isolent l'édifice dans un brouillard crémeux alors qu'un soleil diaphane s'estompe violemment.
Les flammes lèchent avidement le manuscrit. La danse du juge ardent aboutie sur un non-lieu; le manuscrit ne rougit pas.
Glissade.
Assis sur mon fauteuil d'un cuir usé, fauteuil écrasé par la pesanteur irrépressible de la représentation grotesque qui s'effectue. Impatient, fébrile, les sourcils froncés; il me faut trouver un calice. Derrière, des cris illogiques, des vertiges fantastiques se font entendre. Je refuse, le rouge aux joues, d'y retourner. Me retournant, je peux percevoir les ponts stériles, où s'épaulent obséquieusement des ombres rectilignes écrasées par un couvercle vaporeux, les yeux rougis, les cernes violacées, les sonorités sèches.
Le diaphane solaire sur le sable me rend sourd. Mes yeux dans mon fauteuil sont muets mais nouvellement dilatés, roulant brusquement, fixant sans en douter l'ilot manuscrit entre ces flammes décomposées.
Le parquet craque sous mes pas ensommeillés. La pluie s'y abat en billes. Des articles d'un Code quelconque asphaltent. Il avale les distances et d'immenses bateaux origamiques, grands comme trois phares, créent des écueils où vont s'échouer d'autres pas.
A l'éveil douze coups coulèrent dans les sons, une onde éventra subitement les flots. Le déluge s'engouffra dans l'obscurité nouvelle, et seul, remuant maladivement bras et jambes afin de heurter un cap dans ces ténèbres goulues, je me débats contre ma boussole devenue folle, tournant comme un globe aliéné,pointant l'âtre sans cesser.

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